BIOGRAPHIE :

J’ai pratiqué dans ma vie deux sports avec passion : la spéléologie dès l’âge de quatorze ans et la plongée sous-marine à partir de vingt-deux ans. Inscrit au CSSG (Centre de Sport Sous-marin de Genève) en janvier 1957, j’obtiens mon brevet de plongeur autonome la même année. Chaque année à Pâques, je descends à Marseille avec plusieurs copains plongeurs dans les calanques de Port-Pin, Morgiou, Sormiou, etc... Juillet étant réservé à la Costa Brava où pendant des dizaines d’années, mon camp de base sera la calanque de Montgo près de l’Escala à dix kilomètres des îles Medas.


SPELEOLOGIE :

A quatorze ans, j’ai commencé à pratiquer la spéléologie après avoir lu « Dix ans sous terre » et « Mes cavernes », écrits à l’époque par le « Pape » de la spéléologie : Norbert Casteret. Pendant huit ans, avec un camarade d’école, Jean Schmit*, nous explorons la grotte de Jujurieux près d’Annecy, et surtout la grotte de la Diau située sous le plateau des Glières, connu pour son haut-lieu de la Résistance pendant la dernière guerre. Cette grotte n’aura bientôt plus de secrets pour nous et c'est là que j'ai photographié mes premières chauves-souris :

Diapositives en noir et blanc puis, par la suite, en couleur.


PLONGEE DANS LA RESURGENCE DE L’ORBE A VALLORBE (SUISSE) ET DECOUVERTE DU RESEAU SUPERIEUR (FOSSILE) :

Début septembre 1964, je discute plongée au club avec Michel Gallay et Alain Sauty qui me parlent de la résurgence de l’Orbe (siphon) ou avec Jean-Claude Protta, absent ce soir- là, ils plongent depuis 1960 et où après quatre-vingt mètres de progression plus ou moins à l’horizontal, ils remontent dans une faille d’une dizaine de mètres et arrivent dans un petit lac d’une trentaine de mètres sur trois qu’ils baptisent « Lac du Silence ».
Voyant mon intérêt, on se donne rendez-vous le weekend suivant à la Résurgence avec Roland Schmid*, un autre copain du club.
Le 12 Septembre 1964 allait être pour moi une découverte mémorable que tout spéléologue espère « Une Première ».
Quinze heures, on se retrouve avec nos véhicules devant l’entrée. Combinaison, palmes, masque, bouteilles et nous voilà partis devant le regard de ma femme et de mes deux filles pas très rassurées !
Je m’occupe de dérouler le fil d’Ariane, encadré par Michel Gallay et Alain Sauty. Dix minutes plus tard, nous émergeons dans le « Lac du Silence ». L’obscurité me rappelle mes expéditions en spéléologie. Petite discussion et direction la sortie où je retrouve ma famille ainsi que de nombreux touristes, curieux de voir nos voitures à cet endroit réservé à la promenade. (A cette époque, en Suisse, nous étions moins de dix plongeurs à pratiquer la plongée-spéléologique.)
Roland Schmid arrive à ce moment-là avec une heure de retard. Voyant son désappointement, Michel Gallay et Alain Sauty lui proposent de plonger avec moi. J’attends qu’il s’équipe, lui donne quelques conseils et nous voilà partis. Je déroule à nouveau le fil d’Ariane et à quatre- vingt-mètres, nous remontons la faille et émergeons au « Lac du Silence ». Pendant que Roland se tient à une aspérité de la paroi, je nage vers l’extrémité du lac et en éclairant les parois avec ma lampe-torche, j’aperçois, à cinq mètres de hauteur, une toute petite faille en retrait d’une des parois et qui semble faire un mètre sur cinquante centimètres.

Je retourne vers Roland, lui explique ce que j’ai vu et lui demande de tenir mon matériel pendant que je tente l’escalade de la paroi. Je commence à grimper mais je dois m’y reprendre à trois fois sous les rires de Roland pour arriver et trouver une faille de trois mètres de haut sur un mètre de large. Dans le prolongement de cette faille se trouve un magnifique couloir parsemé de gros blocs disparaissant dans l’obscurité. Le cri habituel de tout spéléologue « ça continue ». Je demande à Roland de m’attendre cinq minutes et il me dit de ne pas faire trop long car l’eau est à sept degrés et les combinaisons ne sont pas étanches.
Je m’engage dans ce couloir, escalade plusieurs blocs de rochers sur cinquante mètres avant de me retrouver dans une grande salle, (qui deviendra par la suite avec Bernard Santandréa, notre premier camp de base). Sur sa droite, un autre couloir très prometteur de cinq mètres de large sur un mètre trente de haut. Je vais pour m’y engager par curiosité mais la prudence l’emporte : si ma lampe venait à s’éteindre… Je retourne auprès de Roland en sautant dans l’eau. Il me passe mon matériel en claquant des dents et on se dirige vers la sortie car, après trois quarts d’heure d’absence, tout le monde commençait à s’inquiéter. Discutions et explications suivent mais après leur avoir discrètement parlé de ma découverte, le calme revient. Retour à Genève.
*A remarqué la similitude : Schmit pour la Spéléologie, Schmid pour la Plongée !


EXPLORATION :

Le mercredi suivant, je retrouve au club Michel Gallay, Alain Sauty et Roland Schmid, et là, désappointement. Roland doit s’occuper de son commerce, Michel Gallay et Alain Sauty ne sont pas intéressés par la spéléologie. Heureusement, un camarade – Bernard Santandréa, vingt ans – qui nous écoute, se montre intéressé par ma découverte.
Rendez-vous à dix-sept heures le vendredi suivant et départ pour Vallorbe avec ma voiture. A ce moment, j’étais loin de me douter que ces expéditions dureraient dix ans et qu’une solide amitié nous unirait. Arrivés à l’usine électrique « La Dernier » où Jean-François Morel, alors directeur et à qui j’ai téléphoné dans la semaine, nous attend. Il met à notre disposition un local où nous pourrons laisser du matériel et nous montre – miracle ! – une douche que nous pourrons utiliser une fois sortis de la grotte. Plongée au Lac du Silence : là, je sors de mon sac une massette ainsi que deux broches de maçon, qui plantées dans la paroi, permettront d’accrocher notre matériel.
Ensuite, escalade de la paroi où, depuis la faille, je lance une corde à Bernard pour lui faciliter l’escalade. Casse-croûte, cigarettes, briquet et piles ont été placés dans une pochette étanche avant le départ. Nous arrivons dans une grande salle que je baptise « Salle du Cairn » après avoir empilé une dizaine de roches afin de retrouver la sortie. Boue et escalade sont au rendez-vous : une concrétion de quatre-vingts centimètres est baptisée « La Madone » et ça continue... On monte, on descend et un siphon nous bloque le passage. Comme en apnée, je tiens deux minutes ; j’attache la corde à un de mes pieds et je dis à Bernard : « Si je passe, deux tractions et je te rejoins. » Je bloque ma respiration et je m’enfonce dans l’eau avant d’en émerger quinze mètres plus loin. Ensuite, le retour. Là, on retourne au « Lac du Silence » et afin d’améliorer un nouveau camp de base (N° 2) au-dessus du Lac, on décide qu’à chaque exploration, on travaillera cinq ou six heures avant de continuer l’exploration. Je mesure la largeur du « Lac du Silence » avec une ficelle : trois mètres.
Nous sortons de la grotte : il est samedi, dix heures du matin. Nous retournons au local de Jean-François Morel pour prendre une douche – c’est vraiment un luxe – puis je téléphone à Jean-François et lui donne rendez-vous dans trois semaines si le temps le permet.


TRAVAUX ET EXPLORATION :

Trois semaines plus tard, retour à l’usine à dix-neuf heures où Jean-François Morel nous attend, surpris de nous voir sortir près de quatre-vingts kilos de matériel : un bateau pneumatique avec son gonfleur, cinquante mètres de symalen de seize millimètres de diamètre, une pompe à main, un étai de trois mètres dont les extrémités ont été sciées et un bouilleur électrique de huit litres que j’ai transformé en conteneur étanche. A l’intérieur, j’ai mis des piles, un flash, un appareil photo, du film et des cigarettes. Nous attachons tout le matériel avec notre corde sur l’étai de maçon servant sur les chantiers à soutenir les dalles et départ à pied dans le siphon, nos palmes accrochées à la ceinture.
Arrivés sous le « Lac du Silence », nous détachons le bateau et le gonfleur et nous montons vers la surface. Vous avez déjà gonflé un pneumatique avec une grosse pompe à pied ? Essayez donc avec les mains ! Il nous a fallu une heure avant que ce travail fastidieux soit terminé.
L’étai permettra dans les semaines qui suivent de suspendre notre matériel. Je transforme un nouveau bouilleur de cent litres en conteneur étanche ainsi qu’une échelle de quatre mètres pour faciliter l’accès à la faille. Nous passons par le siphon une dizaine de planches de quatre mètres de long servant à la construction des dalles ainsi que deux réfrigérateurs (frigos) où nous stockerons de vieux vêtements, de la nourriture, des piles etc.. Car s’il pleut pendant nos expéditions, nous risquons d’être bloqués par la montée des eaux. Une liaison téléphonique permettra de correspondre avec l’extérieur en cas de coup dur.


NOUVELLE EQUIPE :

A force de voir nos diapos et de les admirer, Jean-François Morel nous annonce qu’il a passé son brevet à la Vallée de Joux (Pasteur de Mestral, Président du club de plongée de la Vallée de Joux) et demande à faire partie de l’équipe. Bien entendu, nous l’acceptons avec plaisir et le tutoiement est vite de rigueur. Cela fait plaisir de voir l’expression de son visage au fil de l’exploration. Nous traversons le lac que nous avons vidé et baptisé « Lac du Mouton » au vu d’un rocher couché ayant la forme d’une tête de mouton, et continuons l’exploration en direction de la rivière active que nous retrouvons coulant dans une immense salle baptisée « Salle Noire ». En 1967, Rino Gamba que je rencontre à un concours sous-marin à Vidy aimerait venir avec nous afin de nous interviewer sur place pour la revue « Aquatica » qu’il édite. Un rendez-vous est pris et un mois plus tard, je ne suis pas étonné lorsqu’il me demande par téléphone de faire partie de l’équipe. Je téléphone donc à Jean-François et à Bernard et nous sommes tous du même avis : il sera le quatrième membre de l’équipe. Au fil des ans, nous ferons de magnifiques découvertes, particulièrement la « Salle des Aiguilles » qui n’est pas ouverte au public car trop étroite d’accès. Je fais un film de trente-cinq minutes en 1965, d’abord en double huit puis en super huit avec un éclairage autonome : quinze minutes de lumière et trois minutes de film par expédition avec uniquement deux minutes passables. Il me faudra une année pour le terminer mais pour l’époque, ce n’est déjà pas trop mal. Trente ans après, je l’ai réalisé sur cassette DV puis sur DVD. Actuellement avec ma caméra HDV et mon appareil photo, idem, il me faudrait seulement trois expéditions pour le réaliser ! La commune de Vallorbe a entendu parler de nos expéditions et nous demande une projection de nos diapositives (24/36 et 6/6). Quand ils voient le résultat, une commission est créée et il est décidé d’ouvrir la grotte au public. Pendant deux mois, nous balisons le siphon, relevons l’azimut et les degrés pour le percement, d’abord avec un petit foret et quand, depuis l’intérieur le foret rejoint la « Salle du Cairn », nous ressortons par le siphon en leur disant qu’ils peuvent commencer les travaux. En 1974, c’est l’ouverture au public après que nous ayons fait l’installation électrique et la pose de plusieurs projecteurs dans différents points d’eau à trois ou quatre mètres de profondeur : c’est un succès avec quatre vingt-mille visiteurs la première année ! Actuellement, en 2010, le million de visiteurs est largement dépassé. Malheureusement, deux amis, Bernard Santandréa et Rino Gamba nous ont quittés.
Habitant Le Séchey à la Vallée de Joux depuis 1970 et définitivement depuis 1995, je me rends deux ou trois fois par an en spéléologue à la grotte, pour essayer un nouvel appareil photo ou encore une caméra HD. Souvent, j’ai une pensée pour Bernard et Rino et pour cet esprit de camaraderie que nous avons eu en explorant cette magnifique grotte qui, selon les dires de plusieurs spécialistes, compterait parmi la plus belle de Suisse.

Photos : Christian Mello
Deux Appareils photos : 24/36 Exa 1 et 2
1 Appareil Alpha 24/36
1 Appareil 6X6 Mamiya C.220
Film Agfa pour les diapositives 24X36
Film Kodak Ektachrome 200 pour les diapositives 6X6

En 1964 la découverte d’une rivière active, après le passage d’un siphon, est la 4ème découverte au monde.
1) Wookey-Hole, (Grande-Bretagne)
2) Goueil-di-Her (France)
3) Han-sur-Lesse (Belgique)
4) Résurgence de l’Orbe (Suisse)